Membre du Collectif de la Fleur Française, Les Bottes d’Anémone cherchent à recréer des liens grâce à la magie de la nature. Pour lutter contre des modèles de production qui détruisent nos écosystèmes, sa fondatrice Tiphaine Turluche mise sur des fleurs 100% françaises, de saison, cultivées sans pesticides, en circuit court, et sur une démarche zéro déchet. En proposant ses bouquets aux particuliers et des prestations clés en main aux entreprises, la société basée à Vannes sensibilise à la biodiversité et rend le monde de la fleur plus vertueux.
De la voile aux fleurs : une reconversion vers plus de créativité
Éloignée du rythme de la nature après 10 ans passés autour du monde comme team manager de skippers, Tiphaine Turluche a choisi les fleurs pour se reconnecter à ses valeurs. “J’ai commencé ma vie professionnelle dans la course au large, sur la partie logistique et opérations. Les équipages dont je m’occupais participaient à des compétitions en voiliers autour du monde, à très haut niveau sportif. Je gérais les déplacements humains et matériels pour des groupes de 80 personnes, d’une quinzaine de nationalités. J’étais dans le monde anglo-saxon de la voile, sur des projets de 2 ans, qui m’ont emmenée dans une quinzaine de pays. J’avais un style de vie vraiment nomade !”
En 2018, elle gagne avec son équipe la course Volvo Ocean Race dont elle avait toujours rêvé depuis son enfance. “Les aînés de la course au large disent souvent que c’est une compétition que l’on ne gagne qu’une fois dans sa carrière. Alors quand on m’a posé la question “Et après, que vas-tu faire ?”, j’ai pris le temps de la réflexion. En parallèle, on avait fini la rénovation de notre petite maison avec mon conjoint au Bono. L’installation dans cette maison, avec mon premier jardin, a déclenché pas mal de choses. Pour la première fois depuis 10 ans, je commençais à m’enraciner quelque part, j’ai revu les saisons aussi. J’ai redécouvert ce que c’est que d’attendre 6 mois pour revoir une fleur s’épanouir. En parallèle, je me suis impliquée à la SNSM du Golfe du Morbihan, en tant que sauveteuse en mer. Tout cela a fait évoluer mon logiciel de valeurs, et m’a convaincue qu’il était temps de changer d’activité. J’avais envie de plus de créativité. C’est comme cela que j’ai identifié que ma reconversion aurait lieu dans les fleurs.”
En août 2020, après une formation et plusieurs rencontres avec des producteurs, elle lance alors l’aventure des Bottes d’Anémone. Un nom qui fait référence à la fleur qui pousse en hiver, notamment en Bretagne. “La racine d’anémone « anemo » veut dire le vent, un clin d’œil à ma vie d’avant avec la voile !” complète l’entrepreneuse.
Elle propose alors un service de bouquets de fleurs fraîches écoresponsables et réalise des compositions florales pour les mariages. Sans stock, ni boutique, elle travaille uniquement à la commande. Trois ans plus tard, l’équipe des bottes d’Anémone compte 5 personnes et offre également des prestations sur mesure aux entreprises.
Fleurir les entreprises et leurs événements
Au cours des deux premières années d’activité, Les Bottes d’Anémone parviennent à se faire connaître auprès des particuliers. Pour cette année, l’objectif est de développer nos services dédiés aux entreprises du Morbihan. « Pour cela, nous avons mis en place des abonnements : toutes les semaines, nous livrons un bouquet de fleurs françaises fraîches, en vase, avec l’étiquette de provenance. C’est à la fois une touche de décoration, de bien-être, mais cela crée en plus du dialogue et du contact entre les entreprises et leurs clients. Un cabinet dentaire nous disait justement que cela détendait beaucoup leurs patients par exemple ! Certains lieux nous sollicitent aussi pour de la décoration permanente. Cela peut par exemple intéresser un hôtel ou un restaurant, qui ouvre et veut refaire sa déco. Nous créons alors un lieu unique et un univers adapté. »
Les Bottes d’Anémone proposent également de fleurir les événements d’affaires : séminaires, dîners de gala ou encore soirées d’inaugurations. « Nous réalisons du sur-mesure, selon les couleurs ou les identités de marques des structures. Nous ne proposons pas la même atmosphère à chacun : nous cherchons ce qui renforce l’identité de l’entreprise par les fleurs. »
Et pour compléter son offre, l’entreprise bretonne s’est lancée dans des prestations de set design. Grâce à un décor végétal, elle compose une scénographie personnalisée afin de mettre en valeur les produits et embellir les supports de communication des marques.
Une fleuriste engagée, membre du Collectif de la Fleur Française
Dès sa création, Tiphaine Turluche s’est rapprochée du Collectif de la Fleur Française, qui rassemble aujourd’hui plus de 500 membres. Inspiré du “Slow Flower movement” né aux États-Unis au milieu des années 2000, ce réseau français soutient une agriculture plus responsable et cherche à faire évoluer les pratiques de consommation des fleurs coupées. Une exigence essentielle pour en être membre : s’engager à réaliser 50% de son approvisionnement en France “Pour moi, c’était une condition sine qua non d’atteindre les 100% ! En France, sur plus de 15 000 fleuristes, on est moins de 10 à travailler uniquement en fleurs françaises. Nous nous imposons de ne travailler qu’en fleurs de saison. Nous sélectionnons des fermes florales en fonction de leur éthique de production : pas de serre chauffée ou éclairée jour et nuit, pas de produit ou d’intrant chimique”, précise Tiphaine Turluche.
Afin de s’approvisionner, elle sélectionne ses fleurs auprès des membres du collectif. « Ensuite, je vais les rencontrer, échanger avec eux et découvrir leurs exploitations. Je cherche à m’approvisionner au circuit le plus court selon la saison et selon la disponibilité. Nous sommes partenaires d’une vingtaine de fermes florales, labellisées bio ou Nature & Progrès pour certaines. Mais nous ne travaillons pas avec toutes, tout au long de l’année. Quelques-unes sont spécialisées dans les pivoines ou les sapins par exemple. Nous faisons donc appel à elles seulement certains mois de l’année. D’autres en Bretagne nous permettent un approvisionnement toutes les semaines pendant 8 mois. Nous travaillons également avec une ferme florale dans le Var qui nous permet d’assurer l’automne et l’hiver. Et en fonction des demandes et de nos besoins, je m’adapte à leur possibilité en favorisant les producteurs disponibles les plus proches. Pour évaluer cet aspect, notre spécialiste logistique a comptabilisé que sur plus 78 000 tiges utilisées en un an, 75 % de nos fleurs parcourent moins de 150 km et 13 % viennent du Var. Alors que 9 tiges sur 10 des fleurs de la filière classique viennent de l’étranger (Kenya, Éthiopie ou Pays-Bas), et sont transportées par avions réfrigérés pour parcourir en moyenne 10 000 km ! Cela nous a vraiment permis de visualiser à quel point on change la donne. »
Pour le moment, la filière logistique en fleur française n’est pas structurée. Chaque fleuriste s’en sort en contactant les fermes florales autour de chez lui. Tiphaine Turluche souhaite faire évoluer les choses et créer une vraie dynamique : “Mon ambition est de devenir un peu le vaisseau amiral en faisant grandir Les Bottes d’Anémone pour servir à la structuration de la filière. À l’horizon 2030, j’aimerais développer des antennes dans le Grand Ouest, reliées entre elles dans un circuit logistique qui engloberait les fermes florales, pour répondre à nos besoins, mais aussi à ceux d’autres fleuristes qui souhaiteraient développer la fleur française. Pour les 10 ans de l’entreprise, nous souhaitons inverser le ratio “90 % de fleurs importées, 10 % de fleurs locales” dans le Grand Ouest, grâce à nos actions et aux déclics provoqués, parce qu’on aura formé du monde, facilité la logistique, qu’on aura changé la mentalité des clients. C’est une sacrée mission, mais on y croit !”
Impliquée dans la Convention des Entreprises pour le Climat, et dans l’association Entrepreneurs pour la planète, la fleuriste est aussi très engagée dans une démarche zéro déchet. L’équipe a ainsi choisi de ne pas utiliser d’emballage plastique, de favoriser les matières naturelles, et d’imprimer ses étiquettes de provenance sur papier ensemencé à replanter, avec de l’encre végétale. Côté composition des bouquets, des alternatives à la mousse florale sont privilégiées. Les vases et les contenants en verre sont, quant à eux, régulièrement réutilisés pour les abonnements professionnels et les évènements. Et pour les livraisons, les déplacements sont réalisés en van électrique ou vélo-cargo grâce aux Triporteurs vannetais.
Entreprise à mission, agrémentée ESUS
“À la création, je ne connaissais pas forcément le concept d’entreprise à mission, ni l’agrément Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale (ESUS). Et pourtant, nous appliquions déjà ces principes de l’économie sociale et solidaire. Nos clients viennent d’abord nous trouver pour cet engagement puis découvrent notre approche et nos services. C’est donc très important pour moi de formaliser ces valeurs jusque dans nos statuts avec cette qualité d’entreprise à mission et d’agrément ESUS, afin de protéger juridiquement ce que j’ai créé et ce que j’essaye de véhiculer. Si, pour quelques raisons que ce soit, Les Bottes d’Anémone continuent sans moi, je ne veux pas que l’entreprise change de mission. C’était une manière de m’assurer que celle-ci était présente sincèrement et authentiquement jusqu’au document fondateur. Cela définit nos choix et chacune de nos actions au quotidien, et nous évite de partir dans tous les sens.”
Ainsi, pour chaque offre proposée, la créatrice cherche à répondre à ces 3 critères : fleurs françaises, fleurs de saison et zéro déchet. “Si l’un n’est pas rempli, nous ne la mettons pas en place ou lançons des recherches pour cocher toutes les cases. Par exemple, depuis deux ans, nos clients nous demandaient de fleurir des vitrines de Noël. Mais je refusais car nous ne trouvions pas de solution pour répondre au zéro déchet. On en a finalement trouvé une et allons pouvoir répondre à cette demande.”
Changer le monde de la fleur, une tige à la fois
Dans un souci de sécuriser davantage son approvisionnement en fleurs, Tiphaine Turluche complète son activité en se lançant en 2021 dans la création d’une ferme florale au Bono, entre Auray et Vannes. Grâce à un financement participatif réussi, 40 pieds de dahlias, puis 60 arbres et arbustes prennent place sur le terrain. 12 000 tiges sont cueillies en 2022 et plus de 30 000 en 2023.
“Cette réserve permet d’une part de répondre à des clients plus exigeants et à leurs besoins de dernière minute. Et d’autre part, pour obtenir plus de flexibilité et faire face au pic d’activité d’avril à novembre”, explique Tiphaine Turluche. “Par ailleurs, devenir producteur nous offre plus de choix atypiques en termes de fleurs, de dégradés, de textures et de formes. Nous choisissons des variétés moins répandues et maîtrisons aussi le niveau de fraîcheur des fleurs. Elles sont coupées le matin même et se retrouvent chez le client 2 heures après.”
Cette ferme est également un lieu de test et d’apprentissage pour la Bretonne d’origine. Marguerite Legros, floricultrice des bottes d’Anémone, y applique les principes de la permaculture en travaillant peu le sol pour encourager la vie microbienne. Les apports naturels sont réalisés à base de purins d’ortie ou de consoude. Des bandes fleuries permettent aux abeilles et aux coccinelles de s’épanouir. Agroforesterie, lombricompost, récupérateurs d’eau de pluie, moutons en pâturage… : tout fait l’objet de tests, avec des acteurs scientifiques, pour de meilleurs choix de production.
“Mon ambition à terme est que cette ferme florale devienne un lieu de diffusion et de sensibilisation pour la biodiversité, comme le décrit bien notre devise “Changer le monde de la fleur, une tige à la fois”. Les fleurs réveillent des émotions chez tout le monde, personne n’est indifférent à un bouquet. Notre objectif est d’utiliser cet “outil” pour sensibiliser et passer des messages. Les fleurs nourrissent et se nourrissent des pollinisateurs, qui créent notre propre alimentation. Elles font partie d’un tout, essentiel aux bases de la vie sur terre.”
Pour 2024, l’entreprise priorise ses actions sur la sensibilisation et la formation. “Pour l’automne, nous allons créer des formations professionnelles pour les fleuristes sur l’exploitation. Nous souhaitons aussi renforcer notre visibilité auprès des centres de formation, pour sensibiliser à la fleur française. Dans un second temps, nous envisagerons des formations pour les fermes florales qui souhaitent s’installer mais nous avons besoin de recul pour cela.”
“En parallèle, nous souhaitons sensibiliser les CODIR et les entreprises de notre bassin économique. Nous peaufinons les derniers détails des activités dédiées aux séminaires d’entreprises. En plus des visites de la ferme florale, les “Parenthèses créatives” permettront pendant 2 heures, en groupe, à travers une activité de création florale, de passer des messages pour s’instruire sur les fleurs et la biodiversité. L’idée est de créer du lien, mais aussi d’inciter au changement chez les participants”, conclut la cheffe d’entreprise.