Interviews, Enquêtes, évènements incontournables et les actualités des adhérents d’Eurolarge Innovation… Tous les trimestres, la Bretagne Sailing Valley® News traite l’actualité économique et technologique de la voile de compétition bretonne. Découvrez ci-dessous l’interview croisée de Philippe Facque et Dominique Dubois.
A la tête de CDK Technologies et de Multiplast depuis respectivement 30 et 13 ans, Philippe Facque et Dominique Dubois ont l’un comme l’autre décidé de prendre leur retraite et de céder les commandes à de nouveaux actionnaires, Inspiring Sport Capital et le groupe HBH. L’occasion d’échanger avec eux.
Philippe, vous avez dirigé CDK pendant presque 30 ans, Dominique le groupe Carboman 13 ans, quels ont été les étapes ou les projets majeurs de vos entreprises respectives au cours de ces années ?
Philippe Facque : « Le moment vraiment marquant, c’est lorsque nous avons pris la décision de venir nous installer à Lorient, en 2007. Nous avions la commande de Banque Populaire V en main, mais avant de signer, nous devions trouver un endroit pour le construire, parce que nous n’avions pas la place à Port-la-Forêt. Mes associés n’étaient pas forcément tous d’accord pour prendre le risque, c’est pour ça que nous avons fait deux sociétés distinctes, Keroman Technologies et CDK Technologies. En fait, Keroman s’est développé très rapidement pour devenir aussi important que CDK, ce choix nous a permis de construire et d’assembler des grands bateaux, c’est l’étape qui a vraiment fait grossir le chantier. »
Dominique Dubois : « Le premier projet marquant qui me vient à l’esprit, c’est le Volvo 70 Groupama 4, un bateau sur lequel on a eu pas mal de problèmes de construction, notamment de réaction chimique sur les pré-imprégnés, ça commençait mal, mais finalement, ce bateau s’est avéré une super machine qui a tout gagné : la Volvo Ocean Race, Sydney-Hobart, le Fastnet, une merveille ! Et derrière, il y a eu l’aventure des Volvo 65, au sein d’un consortium monté avec Décision, Persico Marine et King Marine. Ensuite, je dirais le dôme de la cathédrale orthodoxe russe de Paris, un projet colossal, et, plus récemment, les grands mâts de paquebots et les voiles de 1 200 m2 dans le cadre du projet Solid Sail/AeolDrive. Ces projets illustrent bien notre stratégie de diversification. »
Et d’un point de vue plus technologique ?
Philippe Facque : « La vraie rupture a été le moment où on a commencé à construire les bateaux en pré-imprégné. Le “pré-preg” permet d’avoir une qualité de carbone parfaite avec un bon dosage de résine, donc de faire des bateaux légers et solides. Maintenant, ce n’est pas toujours simple, parce qu’il faut faire attention à ne pas laisser de bulles d’air, ça demande beaucoup de minutie, mais c’est vraiment la techno qui nous a permis, à un moment, de faire la différence, et donc, de nous outiller en conséquence, il fallait des étuves pour chauffer le tout, puis des grands autoclaves, on en a trois aujourd’hui. »
Dominique Dubois : « C’est le fait d’être passé de pièces faites à 95% en carbone pré-imprégné à une partie significative de pièces en infusion. On a ajouté cette techno en achetant Plastinov, qui maîtrisait parfaitement les infusions de grande dimension parce qu’ils fabriquaient des pales d’éolienne. Ça a été un grand changement : aujourd’hui, on est capables, comme sur le projet SolidSail/Aeoldrive, de faire des panneaux de 150 m2 infusés. On a ajouté des cordes à notre arc en se dotant de pans complets de technologies qui permettent de faire la différence, parce que tout le monde n’a pas besoin de carbone pré-imprégné, la diversification passe aussi par ça. Je citerais aussi les fours capables de cuire à 200 degrés, qui nous ont permis d’accéder aux marchés de l’aéronautique et du spatial. Aujourd’hui, l’entreprise n’est vraiment plus la même qu’il y a dix ans. »
Quelles évolutions technologiques voyez-vous à venir dans la voile de compétition ?
Philippe Facque : « L’évolution majeure, ce sont les foils, particulièrement sur les monocoques, qui vont aujourd’hui aussi vite, voire plus, que les multicoques de 20 ou 25 mètres sur lesquels je naviguais. Les produits progressent tout le temps, c’est pour ça qu’on arrive à faire constamment des bateaux plus solides et plus légers, et ça va aussi concerner les foils, dans tous les domaines : la conception, les matériaux, la structure. Aujourd’hui, on voit déjà qu’il y a beaucoup moins de casse qu’au départ. »
Dominique Dubois : « Je pense aussi qu’on n’est qu’au tout début des foils, on voit que ça casse encore, que tout le monde cherche un peu dans tous les sens, il y a encore énormément de travail à faire dans ce domaine. Et je pense que les technologies vont évoluer car on est sur des prix assez astronomiques, il va falloir trouver des bonnes idées, il y a vraiment moyen de progresser dans ce domaine, mais l’imagination de l’homme n’a pas de limites. »
Et quels risques voyez-vous poindre pour le secteur ?
Philippe Facque : « Les bateaux coûtent de plus en plus cher, parce qu’ils sont de plus en plus complexes. Il n’y a qu’à voir le nombre d’ingénieurs intégrés aujourd’hui dans les chantiers : ça n’existait pas avant, alors qu’aujourd’hui, sur un projet Imoca, on a un ou deux ingénieurs qui suivent en permanence le projet. Maintenant, je ne sais pas si c’est un danger, car les bateaux se revendent aussi très bien : avant, tu achetais un Imoca neuf à 3 millions pour le revendre 1,5 million quatre ans plus tard ; là, tu fais des bateaux à 5 ou 6 millions qui sont vendus 4 ou 4,5. En revanche, le recrutement est un gros problème, particulièrement ces dernières années, il manque du monde partout et en permanence, c’est de plus en plus difficile de fidéliser les gens qui veulent être plus “libres”. »
Dominique Dubois : « Je suis un peu inquiet quand je vois qu’il y a 14 bateaux neufs pour la prochaine édition du Vendée Globe, alors que d’habitude, c’est plus 6 ou 7. Est-ce que ça veut dire qu’il n’y en aura pas pour la suivante ? C’est un vrai point de vigilance, qui a des impacts forts sur le recrutement, un enjeu majeur pour nos chantiers. On ne peut pas se permettre de recruter 50 personnes pour s’en séparer un an plus tard parce qu’il n’y a pas d’Imoca à faire, il faut arriver à lisser ta charge de travail sur la durée. Recruter et former des gens, c’est du long terme, de gros investissements humains.Et quand je regarde ça, je me dis qu’on a bien fait de se diversifier. »
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