Bretagne Développement Innovation a organisé le 5 décembre une conférence Eurolarge Innovation consacrée aux retours techniques de La Route du Rhum-Destination Guadeloupe. En compagnie de Xavier Guilbaud, d’Éric Levet et de Renaud Banuls – respectivement architectes navals chez VPLP Design, Marc Lombard Yacht Design et Banuls Design – ainsi que d’Olivier Douillard, fondateur d’AIM45, et d’Antoine Mermod, président de la classe Imoca. Retour sur ces riches échanges.
Après une présentation liminaire par Olivier Douillard de sa société AIM45, spécialisée dans la collecte et l’analyse de données sur les bateaux de course, domaine qui, depuis la précédente Route du Rhum, a pris une importance croissante, les invités ont dressé le bilan, classe par classe, de la 12e édition de la transat solitaire.
La classe Ultim 32/23
Renaud Banuls, qui a participé à l’équipe de design de Sodebo Ultim 3 et continue à collaborer avec l’équipe de Thomas Coville, loue « la victoire incontestable et superbe de Charles Caudrelier » et évoque « un jeu assez passionnant » dans une classe qui devient « aboutie et dont le niveau se resserre. » Pour ce qui est Sodebo Ultim 3, troisième à Pointe-à-Pitre, l’architecte revient sur la genèse du bateau, conçu à l’origine pour la première course autour du monde en Ultim en solitaire qui devait avoir lieu en 2019 – et s’élancera finalement fin 2023 sous le nom d’Arkea Ultim Challenge Brest -, d’où des choix expliquant des performances en retrait lors des premières années suivant sa mise à l’eau (2019). « Il a fallu faire évoluer le navire étape par étape », explique-t-il.
De son côté, Xavier Guilbaud, qui a travaillé sur les dessins de Banque Populaire XI et d’SVR Lazartigue, estime qu’« on a assisté à une vraie régate sur l’Atlantique en mode vol sur 50-60% de la traversée, avec une préparation des bateaux et des teams et un engagement des skippers que l’on n’imaginait pas. » Les Ultims volants sont-ils mûrs pour s’affronter sur l’Arkea Ultim Challenge Brest dans un an ? « Je pense que les bateaux ont le niveau pour le faire, même si le point faible reste les appendices, plusieurs ont cassé dernièrement sans choc », répond Olivier Douillard.
Ocean Fifty
Dans cette classe, la Route du Rhum a donné lieu à un gros match entre Arkema 4 (Quentin Vlamynck) et Koesio (Erwan Le Roux) qui s’est imposé de peu. Ce qui fait dire à Xavier Guilbaud – VPLP Design qui a conçu Koesio : « Les deux bateaux avaient des orientations un peu différentes, nous avions axé notre design sur la légèreté pour être rapide au portant, mais la plateforme n’était pas optimum en termes d’aéro, loin d’être aussi efficace dans ce domaine qu’Arkema. Quentin a mené un rythme incroyable sur la première partie, Erwan a eu un petit surplus de vitesse sur la seconde grâce aux performances du bateau au portant et à son expérience, mais ça s’est joué à pas grand-chose.»
La Classe Imoca
En Imoca, avec 38 bateaux au départ, contre 20 en 2018 et 9 en 2014, et un pourcentage d’abandons en baisse, le bilan est jugé largement positif par Antoine Mermod : « Les deux bateaux expérimentés (LinkedOut et Apivia) étaient un cran au-dessus, mais ce qui est intéressant, c’est qu’on avait 7 bateaux neufs, qui sont tous arrivés, 4 ont joué dans la lutte pour le top 5, la génération 2022 était beaucoup moins loin que ce qu’on attendait. Il y a même certaines phases où des bateaux comme Biotherm et Charal allaient parfois vraiment plus vite. »
Et le président de l’Imoca d’expliquer cela par « l’augmentation des budgets dépensés, à tous les niveaux du jeu, il y a une maturité de tout l’écosystème qui permet de mettre au point rapidement des machines extrêmement pointues. C’est un point remarquable sur ce Rhum. » Interrogé sur cette professionnalisation croissante de la classe Imoca, Olivier Douillard constate que « certaines équipes moyennes commencent à venir à l’analyse de données car les systèmes deviennent très complexes. Jusqu’ici, on a beaucoup investi dans le matériel, dans « le bâtiment », il faut maintenant investir dans des choses plus immatérielles pour développer l’apprentissage et la connaissance. »
Class40
« Les dernières évolutions de carène sont devant chez tous les architectes », constate Éric Levet – faisant référence aux étraves arrondies en scow – qui, au sein du cabinet Lombard, a travaillé sur Paprec Arkéa (Yoann Richomme) et Quéguiner Innoveo (Corentin Douguet), premier et troisième. Bilan pour les plans Lombard : « On est super contents du résultat, d’autant qu’il y a eu absolument zéro souci de structure, ce qui était un petit challenge car les Class40 sont des bateaux très soumis structurellement, les plus extrêmes en termes de forme, presque les plus infernaux à naviguer. » Nouveau venu dans cette classe, avec quatre Class40 au départ – le mieux classé, Fondation Stargardt (Martin Le Pape) a terminé 9e – VPLP est satisfait de ce que Xavier Guilbaud qualifie de « galop d’essai » riche d’enseignements pour la suite.
Rhum Multi
Ce dernier termine ce tour d’horizon de la Route du Rhum en évoquant la performance en Rhum Multi de Roland Jourdain, deuxième sur We Explore, évolution d’un Outremer 5X dont le pont a été construit en partie en fibre de lin. « Le bilan est super positif, on discute avec le chantier Outremer pour proposer cette solution en option à d’autres clients. »
L’écoconception des bateaux
Cette problématique d’écoconception, et plus largement de développement durable, est, pour tous les intervenants, un enjeu majeur, chacun expliquant pour finir comment il l’aborde, entre un Class40 « 100% recyclable » conçu par le cabinet Marc Lombard et construit par le chantier Lalou Multi pour Keni Piperol, l’importance de la durabilité mise en avant par Renaud Banuls, et des mesures concrètes incluses dans les règles de jauge de la classe Imoca (analyse du cycle de vie, voile « verte », matériaux alternatifs pour certaines pièces non structurelles…).
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Audrey Rouaux