Le 10 novembre dernier, BDI et la région Bretagne ont réuni de nombreux acteurs économiques et les élus bretons au Palais des Congrès de Lorient, pour une matinée consacrée au lancement d’une nouvelle filière du transport maritime à propulsion par le vent. Cette plénière, organisée avec le soutien de Lorient Agglomération et de Wind Ship, avait pour objectif de mieux comprendre ce nouveau marché et les projets en cours, en réunissant les entreprises intéressées ou déjà engagées dans cette filière, et en dévoilant les résultats d’une étude menée par BDI sur l’ensemble du territoire. Plusieurs témoignages et deux tables rondes ont permis de mettre en lumière les atouts de la chaine de valeur bretonne, mais aussi d’en identifier les limites, afin de réfléchir aux synergies à mettre en place pour assurer le bon développement de cette filière en plein essor.
Des ambitions politiques
Fabrice Loher, président de Lorient Agglomération, et Loïg Chesnais Girard, président de la région Bretagne ont ouvert conjointement la plénière et fait part de leurs ambitions de placer le vent comme source d’énergie de propulsion au cœur du développement économique. En tant que premier pôle européen de course au large, la Bretagne dispose du savoir-faire de pointe en matière d’innovation pour jouer un rôle majeur dans le lancement de cette filière. Elle s’inscrit parfaitement dans l’ambition de transition écologique et énergétique du territoire avec un axe majeur autour de la décarbonation des transports maritimes et terrestres. L’enjeu est de mobiliser et coordonner l’ensemble des acteurs de la région, afin de rédiger une feuille de route et donner du souffle à cette dynamique.
État des lieux du marché
Lise Detrimont, déléguée générale de l’association Wind Ship qui coordonne le HUB Europe- Atlantique de l’IWSA (International Wind Ship Association) a présenté un panorama du marché du transport maritime propulsé par le vent en France et dans le monde.
À l’aide de technologies multiples dont le niveau de maturité est élevé, les prototypes à terre et installations testées en mer montrent que l’on peut économiser 5 à 80 % de carburant en fonction des navires et de leur vitesse. La flotte mondiale très segmentée, est constituée de 98 000 navires dont 52 000 (vraquiers, tankers et container). Elle transporte 80 % du tonnage de marchandises mondial chaque année.
Alors que l’âge moyen de la flotte est de 20 ans, des petits navires sont actuellement renouvelés autour de systèmes de propulsion par le vent avec un fort niveau de décarbonation. Les navires plus jeunes font quant à eux l’objet de « retrofit » (une quinzaine de navires de charges de toutes tailles aujourd’hui). Selon deux études de marché de l’UE et de la GB, on pourrait avoir 3.700 à 10 000 navires équipés d’ici 2030, et 45 % de la flotte mondiale d’ici 2050 ! À noter que les bateaux de petites tailles permettant de faire du cabotage peuvent également jouer un rôle très important pour décarboner localement.
Les Pays d’Europe du Nord, précurseurs de cette filière ont bénéficié de l’appui des puissances publiques et des collectivités. En France, il y a eu beaucoup d’aides pour la partie R&D. L’enjeu reste de mobiliser des capitaux importants pour équiper les bateaux et démultiplier les installations. L’organisation maritime internationale (OMI) qui instaure les règles, s’engage à diminuer de 50 % les émissions globales de toute la flotte d’ici 2050. Pour cela elle met en place de nouveaux indicateurs plus contraignants. Mais à ce jour, la sobriété reste le premier levier et c’est ce que permet le vent, énergie gratuite et inépuisable.
Une dimension internationale
En direct d’Écosse ou il assistait à la COP 26, Gavin Allwright, secrétaire général de l’IWSA (International Wind Ship Association) a ensuite partagé avec l’auditoire le constat d’une ambition plus élevée de décarboner le transport y compris au sein de l’industrie. Il a rappelé que la propulsion par le vent est indéniablement la clé dans ce défi majeur et que des couloirs verts pour le transport maritime devraient être mis en place et offrir un levier d’action considérable.
Une étude menée par BDI
Carole Bourlon, Responsable Grands Programmes Structurants chez BDI a complété ce panorama en dévoilant les « Contours et chiffres clés de la filière industrielle bretonne en construction », fruit de l’étude menée par Bretagne Développement Innovation à la demande de la Région.
Menée sur trois mois, cette étude a permis de dresser un panorama régional des entreprises actives ou intéressées par ce secteur, d’identifier leurs compétences sur la chaine de valeurs, leur positionnement commercial sur le marché et le développement qu’elles projettent d’y avoir, ainsi que les projets sur lesquels elles travaillent actuellement. Grâce à une participation forte (236 entreprises répondantes), les premiers résultats de l’étude prospective pour une filière industrielle bretonne dédiée au transport maritime propulsé par le vent font apparaitre des résultats qui confirment l’émergence d’un marché prometteur du transport maritime propulsé par le vent, sa forte accélération avec des projets matures et des enjeux inhérents.
156 entreprises issues principalement des secteurs du naval, du nautisme et de la voile de compétition, localisées majoritairement dans le Morbihan et un pôle en construction autour de Brest, constituent cette filière émergente. Pour 55 % d’entre elles, ce nouveau marché est prioritaire à important pour leur développement. Leur activité se traduit par une évaluation de 155 emplois et 28 M€ de chiffres d’affaires.
Les résultats démontrent aussi tout le potentiel industriel breton sur ce marché identifié par les entreprises comme prépondérant dans leur développement. Se pose maintenant la question du positionnement régional breton et de l’accompagnement à initier, pour permettre à ces entreprises qui expriment des besoins en matière d’identification de projets et d’appel à projets, de financements et d’informations sur ce marché, de bénéficier de ces opportunités et d’y accélérer leur développement.
Une difficulté à s’engager sur une phase industrielle
Vincent Bernatets, président d’Airseas explique avoir bénéficié d’une grande aide de l’Etat sur la partie R&D pour le lancement en 2016, de son concept d’aile de Kite géante pour tracter les cargos et réduire leurs utilisations de carburant. En parallèle la startup a signé avec KLine et mis au point un prototype à échelle 1 qui fonctionne sur le marché. Le produit final est en cours de validation et la clientèle est là car des milliers de navires doivent réduire leurs émissions à très court terme. Mais l’industrialisation nécessite un investissement colossal. Deux leviers doivent permettre d’y arriver : l’aide des pouvoirs publiques et la mise en place de mécanismes incitatifs, pour que les investissements privés soient guidés vers ce type d’industrie.
Même constat pour Nicolas Abiven ingénieur gréements et chef du projet Silenseas au sein des Chantiers de l’Atlantique. Ce modèle de paquebot de transport de passagers, équipé d’un système de voile et gréement Solidsail / Aeoldrive a été conçu avec les acteurs bretons de la Course au large, pour leur capacité à aller vite tout en tenant compte des risques et des évolutions technologiques. Le premier démonstrateur qui mesure 50 m de haut, devrait atteindre 105 à 110 m d’ici un an. Mais il reste un énorme travail pour produire ce type de gréement en grande quantité, avec une garantie de fiabilité et de réduction des coûts. Un vivier de fournisseurs en équipements divers est nécessaire pour pouvoir accélérer la phase industrielle.
Les tables rondes
Quelles sont les synergies créer pour développer le transport maritime propulsé par le vent en Bretagne ?
Avec Loïc Hénaff, Président du directoire de Jean Henaff SAS, Président de Produits en Bretagne et Conseiller régional, Vincent Tonnerre, directeur général du port de commerce de Lorient Bretagne Sud, et Amaury Bolvin, partenaire fondateur de Zéphyr et Borée
Les affréteurs ont montré que l’on pouvait utiliser la voile de façon compétitive et fiable, en réduisant considérablement la consommation de carburant sans affecter la capacité des navires à tenir les délais grâce au routage. Contraints par des logiques de transports rapides à moindre coût, les chargeurs doivent se parler pour trouver des lignes de massification nécessaires à rendre les tarifs compétitifs, et construire un écosystème autour d’un projet maritime durable.
Le port joue un rôle clé dans la relation chargeurs/ affréteurs et peut faciliter le développement du transport maritime à propulsion par le vent. Parmi ses leviers d’action, il peut adapter sa manutention pour que les chargements se fassent sans délai supplémentaire et appliquer des tarifications spécifiques pour aider des lignes à se lancer. Le cabotage apparait comme l’une des clés pour une filière compétitive et une chaine de distribution plus verte. Mais le transport routier restera intouchable tant qu’il ne sera pas taxé. Pour que la Bretagne occupe la place qui peut être la sienne, il faut lever les contraintes que l’on trouve à terre dans les schémas logistiques, réglementaires, juridiques et d’assurances. Le consommateur doit aussi modifier ses attentes et sa façon de consommer.
Quels sont les enjeux et les besoins pour accélérer le développement de la filière industrielle bretonne ?
Avec Simon Watin président et responsable du Pôle transport maritime chez VPLP Design, Patrick Poupon directeur général du Pôle Mer Bretagne Atlantique et Dominique Dubois président de Multiplast Groupe Carboman
Le premier enjeu d’ordre technologique, a été de trouver le niveau d’hybridation le plus pertinent en fonction des contraintes d’exploitation et de la taille de chaque navire. Cette phase R&D réussie, le nouvel enjeu est de passer à la phase industrielle. Pour cela il faut des infrastructures capables de produire en grande quantité d’ici 5 ans, et de former des opérateurs spécialisés. Or cela représente des coûts colossaux. Les banques et les investisseurs privés veulent des garanties pour suivre. La Bretagne aurait tout intérêt à assurer une continuité de l’effort fournit sur le plan R&D en activant des leviers à l’échelle régionale.
Les chargeurs sont déterminants pour l’accélération de cette filière, mais aujourd’hui il n’y a pas de commandes. Or pour convaincre, il faut voir ces bateaux sur l’eau et obtenir de vrais retours d’expérience. Pour ce faire, l’Etat français et l’Europe pourraient aider les premiers entrants sous forme de primes. L’écosystème breton est riche. Il faut encourager les acteurs à travailler ensemble, les entreprises et les chercheurs à croiser les filières de compétences. En plus des atouts industriels et R&D la région a des atouts géographiques intéressants. Il y a des routes maritimes à ouvrir, un travail à faire sur les marchandises transportées. Il est impératif d’innover sur tous les maillons de la chaine.
Clôture de l’événement
Avec Guillaume Le Grand le fondateur de Towt, Denis Juhel dirigeant de Mer Forte, Olivier Barreau co-fondateur de Grain de Sail, et Daniel Cueff, vice-président Mer et Littoral de la région Bretagne
Le vent est efficace, abondant et prédictible. La plupart des acteurs en sont désormais convaincus. Les technologies sont matures, mais il faut mieux guider les acteurs intéressés par ces projets et passer le cap de l’industrialisation.
Le transport maritime à la voile est l’une des plus belles sources d’espoir dans une société en quête de sens et un contexte d’urgence climatique, mais si on ne réussit pas, par la relocalisation d’industries en France et ailleurs, à réduire drastiquement le transport maritime mondial, ça ne fonctionnera pas !
La réussite de cette filière passe nécessairement par un changement de nos modes de consommation. Nous évoluons dans un monde qui tend vers la décarbonation sans décarboner la production. Il faut reconnecter le Bretagne au réseau de transport européen, revisiter la façade Atlantique et favoriser le cabotage. Rien ne sera possible sans une réelle volonté politique de favoriser le commerce de proximité, et un transport maritime propre et durable.